samedi, novembre 26, 2005
Antoine IV
J’ai fait une demande de permission, on m’a dit que dans 3 semaines, j’aurai droit de rentrer chez moi. Je ne sais pas si j’aurai le courage de repartir une fois au chaud devant l’âtre.
J’ai demandé au sergent s’il avait de quoi écrire, il m’a dit que des cartes postales étaient distribuées pour que nous puissions en envoyer à nos proches, il m’a dit aussi qu’il n’en avait plus, qu’elle devrait bientôt arriver. Mais le sergent vient de se faire tuer, c’est dommage, c’était un bon sergent, et c’est dommage aussi pour la carte. J’espère que le prochain sera bien et qu’il aura des cartes à nous distribuer, il devrait arriver dans trois jours.
Par le courrier, j’ai reçu une bible. C’est gentil de la part de Rose, mais je ne suis plus capable de la lire, dieu est beaucoup trop loin de moi dans cette guerre. Je ne me résous pas non plus à m’en séparer, c’est un cadeau de Rose. Je la range dans paquetage pour le moment.
Le nouveau sergent vient d’arriver, il a l’air fatigué et pas forcement heureux d’être là, mais il a aussi l’air gentil. J’irai le voir demain pour les cartes.
Le sergent m’a donné une carte et de quoi écrire, je suis déçu, il n’y a pas beaucoup de place pour écrire, je suis obligé d’écrire petit. Mon écriture est hésitante, ça fait longtemps.
« Mon aimée, tu me manques. Je me porte aussi bien que l’on peut se porter au milieu de toutes ces horreurs. J’ai bien reçu le pull et la bible, mais je ne peux plus prier depuis de longs mois déjà. J’espère pouvoir rentrer bientôt en permission. Je ne sais pas si j’aurai le courage de repartir tellement la vie dans les tranchées est dure et affreuse. Je suis lasse de voir mes amis mourir ou se faire estropier en attendant que ce soit mon tour. Comme l’a dit Brialmont, à la guerre, on tue non pour tuer, mais pour ne pas être tué et pour citer également Diderot, se faire tuer ne prouve rien, sinon qu’on est pas le plus fort. Ta douceur me manque. Je t’embrasse. Antoine »
J’ai remis la carte au sergent pour qu’il l’envoie, quand il l’a vu, il a fait la moue, je ne sais pas ce que cela veut dire.
Je ne sais pas si ça a un rapport avec la carte envoyée il y a quelques jours, mais je viens d’apprendre que ma permission était annulée, on ne m’a pas donné de raison. Je suis désespéré. J’hésite entre la désertion avec le risque de me faire fusiller et la blessure de guerre. Que je meurs des mains des français ou des boches, est-ce que ça change grand chose au fond ?
Je me mets à pleurer, je prends la bible dans mes bras pour me consoler, non parce que c’est une bible, mais parce que c’est un présent de Rose. Une fois la crise passée, je l’ouvre et la feuillette, mais décidément, le contenu ne m’est d’aucun réconfort, jusqu’au moment où je trouve la couverture étrangement épaisse, ça ne m’avait pas frappé jusque la. Je reconnais bien ma rose quand je découvre sa lettre. Je reprends courage, maintenant je sais ce qu’il me reste à faire. Il me reste un chemin à parcourir pour y arriver, mais j’ai de nouveau de l’espoir.