jeudi, novembre 24, 2005
Antoine III
Noël semble bien loin maintenant, pourtant, c’était il y a à peine quelques semaines. On a recommencé dès le lendemain à exécuter les ordres et à tuer les boches, eux aussi ont recommençé à nous tirer dessus. Maintenant que j’y repense, elle était belle cette trêve, éphémère, trop éphémère mais belle. Elle a rendu les tueries plus barbares et plus inhumaines encore dans le premier temps, maintenant ça va mieux !
Les tranchées bougent et évoluent. Hier, on nous a distribué des masques pour respirer pendant les attaques ennemies, avec ça sur le museau, on ressemble tous à des insectes ! Mais il paraît que l’on risque de recevoir des gaz qui tuent quand on les respire ! Qu’est-ce qu’on attend pour faire pareil ?
Aujourd’hui, un type que je ne connaissais pas, ou alors que de vue, un chanceux qui rentre de permission, m’a transmis un pli de la part de mon copain Théodore, je ne sais pas où il a été affecté Théodore, au moins je sais qu’il est en vie. Le pli, c’est une lettre de ma Rose. Elle m’apprend que ses premières lettres ne sont jamais arrivées. Il faut absolument que je trouve de quoi écrire pour lui dire que je pense à elle autant que possible et qu’elle me manque, faut que je demande au sergent, il doit savoir où je peux trouver du papier et de l’encre. Si mes lettres passent la censure, je pourrai lui dire ce qui se passe vraiment ici, car je ne sais pas ce qu’on leur raconte, mais c’est vraiment dur !
Je viens d’apprendre que ma soeurette est maman. Quand je suis parti, on voyait à peine son ventre commencer à pousser… ça fait combien de temps que je suis parti ?
Lire cette lettre me fait du bien, mais elle me remplit de nostalgie, Coulommiers, le marché, les chênes… et surtout les gens que j’aime. Je suis heureux que, pour tout le monde, la vie continue, mais c’est dur de penser qu’elle continue sans moi ! Ils me manquent tellement dans ce froid, au milieu de cette mort omniprésente, de cette merde ! Le soir je ne prie plus, ça ne sert à rien de prier ! Mieux vaut tuer les boches avant qu’ils ne nous tuent !
Faudrait-il que je perde une jambe pour rentrer chez moi ? Mieux vaut une jambe que la vie ! Mais Rose m’aimera-t-elle encore si je suis infirme ?